Après l’interruption imposée par la pandémie de Covid 19 en 2020, les missions de terrain ont pu reprendre à Mégara Hyblaea en 2021 avec notamment une campagne de prospections géophysiques en janvier et une campagne de fouilles en mai-juin. Elles ont permis d’achever les opérations prévues dans le cadre du projet quinquennal 2017-2021 et de répondre aux principaux questionnements qui en faisaient l’objet, ainsi que de poser les bases d’un nouveau programme de recherche pour la période 2022-2026.
La campagne de fouille s’est déroulée du 7 mai au 13 juin 2021, dans la zone du sanctuaire du Nord-Ouest, avec pour objectif d’achever la programmation 2017-2021 qui visait principalement à comprendre l’articulation entre la zone sacrée et l’habitat. Les campagnes menées depuis 2017 avaient en effet permis de mettre en évidence, à l’est de la zone du sanctuaire, deux rues d’orientation nord-sud (d’est en ouest E 10 et E 11) et une possible troisième rue E 12, délimitant deux îlots d’habitation (numérotés 113 et 114) qui s’inscrivent dans le plan d’urbanisme de la cité archaïque. Le lot 113W4 avait été fouillé jusqu’au substrat durant les campagnes de fouilles 2017-2019 (constituant ainsi la première maison archaïque de Mégara Hyblaea entièrement fouillée selon des méthodes stratigraphiques), tandis que le lot 114E4 avait été seulement partiellement exploré durant la campagne 2019. Quatre sondages ont été ouverts en 2021.

Localisation des sondages 2021 (photo: L. Damelet)
Le sondage 1_2021, recouvrant partiellement le sondage A de 2019 mais s’étendant sur une zone inexplorée à l’ouest, prévoyait deux opérations complémentaires. La première, confiée à l’équipe de préhistoriens conduite par Massimo Cultraro et Anita Crispino, avait pour objectif de reprendre la fouille du fossé néolithique dont une portion avait été mise au jour en 2019 sous la rue E 11.

Le sondage 1_2021 en fin de fouille, montrant la superposition des murs grecs archaïques sur les niveaux et le fossé néolithiques (en orange) (photo : L. Damelet; DAO: J.-Chr. Sourisseau).
Ce travail a permis de délimiter l’emprise du fossé néolithique et d’en préciser la typologie, caractérisée par des murets de pierres venant renforcer le sommet des parois creusées dans le substrat rocheux en certains endroits, ainsi que par des resserrements ponctuels qui devaient faciliter le franchissement du fossé. La fouille d’une portion du fossé a également révélé une possible occupation intermédiaire entre les occupations néolithiques et les niveaux grecs, qui daterait de la fin de l’Âge du Bronze et/ou début de l’Âge du Fer.

Lame de silex découverte dans le comblement supérieur du fossé néolithique (photo : R.-M. Bérard)
La seconde opération dans le sondage 1_2021 visait à achever la fouille de la pièce nord-est de l’îlot 114E4, délimitée par deux murs à orthostates (MR 3008 au sud et MR 3009 à l’est) qui laissaient présager une datation antérieure à celle de l’îlot 113, et dont seuls les niveaux supérieurs, datés du VIe siècle, avaient été explorés en 2019. La fouille 2021 a confirmé une installation du lot 114E4 au plus tôt dans la première moitié du VIIe siècle et a révélé des vestiges de pratiques votives probablement domestiques, comprenant le dépôt de fractions d’objets métalliques dans la pièce d’habitation et plusieurs dépôts céramiques originaux (vases miniatures, portions de vases montrant les indices de bris intentionnel, etc.) articulés autour de plusieurs niveaux de foyers superposés dans la cour de cette maison.

Sondage 1, cour du lot 114E4. Foyer en cours de fouille (photo : L. de Barbarin) et dépôt votif : kalathos et pied de coupe ionienne (photo : L. Damelet).
Trois sondages 2.1, 2.2 et 2.3_2021 ont par ailleurs été ouverts dans le secteur du temple B, en partie fouillé par Paolo Orsi en 1917 puis 1920-21, puis Georges Vallet et François Villard en 1952 (voir Gras, Tréziny, Broise 2004, p. 314-320, fig. 337-339). Le but ici était de vérifier la présence de possibles traces d’un habitat du VIIe siècle dans cette zone. En effet, plusieurs éléments nous avaient amené à nous interroger sur l’articulation du réseau de rues et de l’habitat avec l’aire sacrée: des traces de voirie à l’ouest du temple B, décelées par les fouilles Vallet-Villard et les prospections géophysiques de 2009; la découverte en 2019 d’une possible rue E 12 à l’ouest de l’ilot 114. Ces indices se trouvaient à des endroits que l’on pensait jusqu’ici se situer à l’intérieur de la zone réservée du temenos du sanctuaire. L’hypothèse formulée au début de la fouille 2021 était donc que la zone du sanctuaire aurait pu être limitée dans un premier temps, autorisant l’extension de l’habitat très à l’ouest. La monumentalisation de l’espace avec la construction des temples A et B au VIe siècle se serait ensuite accompagnée d’un élargissement du temenos à l’est, aux dépens des zones d’habitat.
Le sondage 2.1 nous a d’abord permis de retrouver le côté est du temple B, mal situé par les fouilles anciennes, pour en faire un relevé précis et l’intégrer aux données topographiques du SIG. Le bord est de cet édifice ne se voit plus que par de profondes entailles creusées dans le substrat rocheux, ainsi qu’à travers une structure post-archaïque constituée de blocs archaïques réutilisés.

Le sondage 2.1 en fin de fouille avec la structure post-archaïque à l’ouest et la structure préhistorique absidale à l’est (photo : L. Damelet).
Surtout, ce sondage avait pour ambition de vérifier si un tronçon de mur, découvert par G. Vallet et Fr. Villard et recoupé par l’entaille la plus orientale de l’implantation du bâtiment, ne pouvait pas correspondre aux restes d’un habitat du VIIe s. av. J.-C., antérieur à l’installation du temple. La fouille a montré qu’il s’agissait en réalité de vestiges d’un habitat néolithique, probablement d’une cabane à abside, dont le comblement s’est révélé riche en fragments de faune, de céramique à décor imprimé de la culture de Stentinello, mais aussi de fragments de lame de silex et d’obsidienne. Les niveaux grecs archaïques du VIIe s. ont quant à eux probablement été arasés lors de la mise en place du temple B au début du VIe s.
Les sondages 2.2. et 2.3, plus au sud, ont confirmé cette découverte : alors qu’ils avaient pour objectif d’intercepter une possible rue E 13 et les éventuels vestiges d’habitat associés dans une zone fouillée ni par Orsi, ni par Vallet-Villard, ils ont en fait révélé des niveaux néolithiques situés immédiatement sous la terre végétale. Seules quelques structures en creux rappellent la présence postérieure de vestiges grecs archaïques, sans qu’on puisse néanmoins les identifier précisément.
Dans le secteur des sondages 2.1, 2.2 et 2.3, il n’a donc pas été possible de repérer des traces d’un habitat du VIIe s., contemporain de celui des lots 113W4 et 114E4 plus à l’est. En revanche, il a probablement accueilli un sanctuaire dès le VIIe siècle, comme en témoigne le matériel grec sans doute votif retrouvé dans les structures en creux ou dans le comblement de la tranchée d’épierrement des blocs du temple B. Celui-ci devait alors se situer sur une légère éminence topographique qui a été entièrement remaniée lors de l’installation du temple B.
Auteurs: R.-M. Bérard, F. Mège, J.-Chr. Sourisseau